vendredi 30 novembre 2012

Appréciation de l’originalité d’un logiciel

Dans un arrêt du 11 mai 2011, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a jugé qu’un logiciel est original au motif « car apportant une solution particulière à la gestion des études d’huissiers de justice ».
Par arrêt du 17 octobre 2012, la première chambre de la Cour de cassation a considéré « qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher en quoi les choix opérés témoignaient d’un apport intellectuel propre et d’un effort personnalisé de celui qui avait élaboré le logiciel litigieux, seuls de nature à lui conférer le caractère d’une œuvre originale protégée, comme telle, par le droit d’auteur, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

vendredi 23 novembre 2012

Vol d’une carte bancaire avec code confidentiel


Aux termes de l’article 133-16 du Code monétaire et financier, « dès qu'il reçoit un instrument de paiement, l'utilisateur de services de paiement prend toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses dispositifs de sécurité personnalisés.
Il utilise l'instrument de paiement conformément aux conditions régissant sa délivrance et son utilisation ».
A ce titre, le titulaire d’une carte de paiement ne doit pas noter le numéro confidentiel sur sa carte ou sur un document accessible, ni communiquer ce numéro à un proche, ni laisser sa carte dans un endroit où le public est susceptible de pénétrer.
Dans deux arrêts du 2 octobre 2007 et du 28 novembre 2008, la Cour de cassation a jugé que l'utilisation de la carte et du code confidentiel ne constitue pas, à elle seule, la preuve d'une négligence du titulaire en dehors d'autres éléments extrinsèques prouvant cette faute.
Aussi, par arrêt en date du 21 septembre 2010, elle a estimé que ni le vol de la sacoche contenant la carte dans un véhicule stationné sur la voie publique ni l'utilisation de la carte par un tiers avec composition du code confidentiel ne suffisent pour caractériser une « négligence fautive » ou une «imprudence caractérisée» qui feraient une « faute lourde ».
En revanche, dans un arrêt du 16 octobre 2012, la chambre commerciale de la Cour de cassation est revenue sur cette jurisprudence, rejetant l’action en responsabilité dirigée contre une banque par un de ses clients, qui avait laissé sa carte bancaire ainsi que son code confidentiel dans la boîte à gants de son véhicule. Selon la Cour, en agissant de la sorte, le porteur de la carte avait commis une « imprudence grave » « constituant une faute lourde »  engageant sa responsabilité.

vendredi 9 novembre 2012

Le bail ne peut pas dispenser le propriétaire de livrer un logement décent

Aux termes de l’article 1719 du code civil, " Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :
1° De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant ;
2° D'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;
3° D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;
4° D'assurer également la permanence et la qualité des plantations ".
Par ailleurs, l’article 1720 de ce même Code civil, " le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce.
Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives ".
Le décret n°2002-120 du 30 janvier 2002 définit les caractéristiques du logement décent.

Par deux arrêts rendus le 31 octobre 2012, la Cour de Cassation a apporté deux précisions concernant l’obligation de délivrance d’un logement décent.

Dans le premier arrêt[1], la Cour a affirmé que le propriétaire ne peut se dispenser de l’obligation de délivrer un logement décent, en état de servir à l’usage prévu. " Les clauses selon lesquelles le preneur prend les lieux dans l’état où ils se trouvent et a, à sa charge, toutes les réparations en cours de bail, ne déchargent pas le bailleur de son obligation de délivrance ", a expliqué la Cour. Et d’ajouter que c’est au bailleur de prouver qu’il s’est libéré entièrement de son obligation de livrer un logement en bon état :
" qu’en reprochant au preneur, qui l’invoquait, de ne pas démontrer le manquement du bailleur à son obligation de délivrer des locaux pouvant servir à l’usage pour lesquels ils étaient loués, la Cour d’appel a inversé la charge de la preuve, violant ainsi l’article 1315 du Code civil ".

Dans le second arrêt[2], la Cour a estimé, en revanche, que même si une réparation incombe au bailleur, le locataire ne peut pas, sauf urgence, l'engager de sa propre initiative et exiger ensuite le remboursement : " en l’absence de mise en demeure, adressée au bailleur d’avoir à effectuer des réparations, et de décision de justice autorisant le preneur à les faire exécuter, et sauf s’il y a urgence à les faire réaliser, le bailleur n’est pas tenu d’en supporter la charge ".


[1] Cass. 3ème civ , 31 octobre 2012, n° 11-12970.
[2] Cass. 3ème civ , 31 octobre 2012, n° 11-18635.

vendredi 14 septembre 2012

Vente à distance : un lien hypertexte n’est pas un support durable

 Conscient des spécificités des contrats à distance, notamment conclus en ligne, le législateur européen a mis à la charge du vendeur une obligation précontractuelle d’information permettant au consommateur « d'apprécier en amont la crédibilité de son cocontractant ». Cette obligation est renforcée par une obligation de confirmation écrite ou sur un support durable d’un certains nombre d’informations jugées nécessaires à l’exécution du contrat, prévue par l’article 5§1 de la directive 97/7/CE.

La directive 97/7/CE ne donne aucune définition de ce qu’est un « support durable ».  Il existe cependant une définition de celui-ci dans d’autres textes européens. Ainsi, à titre d’illustration, selon l’article 2-10 de la directive 2011/83/UE relative aux droits des consommateurs, constitue un support durable « tout instrument permettant au consommateur ou au professionnel de stocker des informations qui lui sont adressées personnellement d'une manière permettant de s'y reporter ultérieurement pendant un laps de temps adapté aux fins auxquelles les informations sont destinées et qui permet la reproduction à l'identique des informations stockées »1. Le considérant 23 de cette même directive dresse une liste de supports censés être durables. Elle inclut « le papier, les clés USB, les CD-Rom, les DVD, les cartes à mémoire ou les disques durs d'ordinateur ainsi que les courriels ». Cette liste n’est cependant qu’indicative et d’autres procédés pourraient servir de « support durable ».
Mais quid du lien hypertexte ? C’est à cette question que la CJUE a été amené à répondre dans son arrêt du 5 juillet 2012 2. Les faits d’espèce sont les suivant : Content Services, société à responsabilité limitée de droit anglais, exploitant une succursale à Mannheim (Allemagne), propose différents services en ligne sur son site Internet, rédigé en langue allemande et accessible également en Autriche, dont notamment le téléchargement de logiciels gratuits ou des versions d’essai de logiciels payants. L’acceptation des clauses générales de vente, qui mentionnaient, entre autres, la renonciation au droit de rétractation, se matérialisait par une case à cocher, avec un lien hypertexte renvoyant à la page des CGV du site.
Estimant que la société Content Services violait les règles européennes sur la vente à distance, notamment l’article 5§1 de la directive 97/7/CE, la Bundesarbeitskammer, organisation chargée de la protection des consommateurs et ayant son siège à Vienne (Autriche), a engagé une procédure à son encontre devant l’Oberlandesgericht Wien.
L’Oberlandesgericht Wien a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Suffit-il, pour satisfaire l’exigence posée par l’article 5, paragraphe 1, de la directive 97/7, selon laquelle un consommateur doit recevoir confirmation des informations qui y sont mentionnées sur un support durable à sa disposition et auquel il a accès, à moins que ces informations ne lui aient déjà été fournies lors de la conclusion du contrat sur un support durable à sa disposition et auquel il a accès, que cette information soit accessible au consommateur au moyen d’un hyperlien sur le site Internet de l’entrepreneur, qui figure dans un texte dont le consommateur doit indiquer qu’il en a pris connaissance en cochant une case pour pouvoir s’engager dans un rapport contractuel?»
Dans sa réponse à cette question, la CJUE a procédé en deux temps. D’abord, elle a jugé que la pratique commerciale adoptée par Content Services (information via des liens hypertextes) ne répond pas à l’exigence de communication des informations au sens de l’article 5§1 de directive sur la vente à distance. Elle a ensuite constaté qu’un lien hypertexte ne peut être considéré comme un « support durable » au sens de cette même disposition.

1.      Sur la communication des informations  

Aux termes de l’article 5§1 de la directive sur la vente à distance, ''le consommateur doit recevoir, par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition et auquel il a accès, confirmation des informations mentionnées à l’article 4 paragraphe 1(…), en temps utile lors de l’exécution du contrat et au plus tard au moment de la livraison (…), à moins que ces informations n’aient déjà été fournies au consommateur préalablement à la conclusion du contrat par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition et auquel il a accès. (…)''. Pour ce qui est du contenu de la confirmation, il s’agit d’informations relatives aux conditions et modalités d’exercice du droit de rétractation, à la communication de l’adresse du fournisseur où le consommateur peut éventuellement adresser des réclamations, au service après-vente, aux garanties commerciales, ainsi qu’aux conditions de résiliation du contrat lorsqu’il est d’une durée indéterminée ou supérieure à un an.
En sa première branche, la question l’Oberlandesgericht Wien était de savoir si la pratique commerciale adoptée par Content Services, consistant à imposer au client, pour pouvoir visualiser les informations, de cliquer sur un lien figurant sur la page Internet destinée à la conclusion du contrat, comportait la fourniture des informations pertinentes au consommateur sur un support durable préalablement à la conclusion de contrat ou, ultérieurement, la réception par ce consommateur de la confirmation de ces informations au moyen d’un tel support.
Selon la Cour, la réponse est non. En effet, pour que les dispositions de l’article 5§1 de la directive 97/7 soient respectées, il est indispensable que des informations pertinentes soient « fournies » au consommateur ou « reçues » par celui-ci. Dans l’arrêt ici commenté, la CJUE affirme qu’en l’absence d’une définition de ces deux termes dans la directive 97/7, « il y lieu de recourir au sens habituel en langage courant de ceux-ci, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie ».
La Cour a été ensuite amenée à constater que l’utilisation des termes en cause implique que, concernant l’obligation de confirmation prévue par l’article 5 de la directive 97/7, un comportement passif du consommateur suffise. Partant, " il convient de considérer que, lorsque les informations qui se trouvent sur le site Internet du vendeur ne sont rendues accessibles que par un lien communiqué au consommateur, ces informations ne sont ni «fournies» à ce consommateur ni «reçues» par celui-ci, au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 97/7". La CJUE a ainsi suivi les conclusions de l’avocat général qui estimait que "même si l’opération consistant à cliquer sur un lien ne présente en principe aucune difficulté particulière, il n’en demeure pas moins qu’elle suppose une action volontaire du consommateur et qu’elle lui impose par conséquent un rôle «actif». Au contraire, on l’a vu, l’esprit dudit article 5 est précisément de faire parvenir certaines informations au consommateur même en l’absence de toute action spécifique de celui-ci (si ce n’est, évidemment, celle qui a conduit à la conclusion du contrat)".

2.      Sur la notion de "support durable"

Après avoir examiné la première condition de l’obligation de confirmation, la CJUE s’est penchée sur la notion de "support durable". Ainsi, selon la Cour, un support ne peut être qualifié de durable que s’il remplit trois fonctions cumulatives, à l’instar de l’écrit.
En premier lieu, il doit permettre de stocker les informations de sorte qu’elles puissent être consultées ultérieurement. En second lieu, il doit garantir l’intégrité de leur contenu ainsi que leur accessibilité pendant une durée appropriée. Aucune modification ultérieure du contenu des informations par les parties ou par un tiers ne doit être possible, que ce soit volontairement ou involontairement. Enfin, le support de la confirmation doit offrir aux consommateurs la possibilité de reproduire les informations telles quelles. Ainsi, en cas de litige, le consommateur doit être en mesure de se reporter facilement aux informations pour faire valoir ses droits.
En l’espèce, affirme la cour, il ne ressort pas du dossier que le site Internet du vendeur auquel renvoie le lien indiqué au consommateur n’était pas conforme aux caractéristiques nécessaires de durabilité.
Par conséquent, il y a lieu de constater que les informations qui ne sont accessibles pour les consommateurs qu’en passant par un lien présenté par le vendeur, ne peuvent être considérées comme fournies sur un «support durable», au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 97/7.
*
*                      *
Cet arrêt constitue un jalon supplémentaire dans le renforcement de la protection des consommateurs à distance, notamment ceux contractant en ligne. Il a pour effet de clarifier les exigences nécessaires pour que les conditions générales de vente communiquées au consommateur contractant à distance lui soient opposables. Il mettra également fin à la pratique, quasi-généralisée sur les sites de e-commerce français et européens, qui consiste à communiquer et faire accepter leurs CGV/CGU, insérées dans un lien hypertexte, via une case à cocher indiquant que le client les a bien lues et qu'il accepte les conditions générales de vente avant de finaliser sa commande3.
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[1] Une définition similaire est retenue par la directive 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 septembre 2002, concernant la commercialisation à distance de services financiers auprès des consommateurs, et modifiant les directives 90/619/CEE du Conseil, 97/7/CE et 98/27/CE ; la directive 2002/92/CE du Parlement européen et du Conseil, du 9 décembre 2002, sur l’intermédiation en assurance ; la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil.
[2] CJUE, 3ème ch., 5 juillet 2012, aff. C-49/11, Content Services Ltd c/ Bundesarbeitskammer.
[3] Notons qu’en France la Cour d’appel de paris, dans un arrêt en date du 25 novembre 2010, avait estimé que la communication des CGV moyennant une case à cocher et un lien hypertexte suffisait pour les rendre opposables aux consommateurs, qui, selon la Cour, "ne pouv[aient] ainsi sérieusement soutenir qu'ils n'avaient pas approuvé les conditions générales de vente" (CA Paris, 25/11/2010, SAS Karavel c/ X.).

mardi 11 septembre 2012

Compétence juridictionnelle en matière des contrats de consommation transfrontaliers

L’application de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001  suppose-t-elle que le contrat entre le consommateur et le professionnel ait été conclu à distance ? C’est la question à laquelle la Cour de justice de l’Union européenne, saisie dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, a eu à répondre dans son arrêt du 6 septembre 2012 (aff. n° 90/11) qui vient préciser le champ d’application du régime de protection réservé au consommateur par le règlement "Bruxelles I".
Dans l’espèce en question, une personne, domiciliée en Autriche, a cherché, sur Internet, une voiture de marque allemande qu’elle souhaitait acquérir pour ses besoins privés. Après s’être connectée à la plate-forme de recherche allemande dénommée «www.mobil.de», elle a spécifié la marque et le modèle de véhicule souhaités, jusqu’à ce qu’elle trouve un lien présentant une offre retenant son intérêt.
 Désireuse d’obtenir de plus amples renseignements sur le véhicule proposé sur ladite plate-forme de recherche, elle a contacté les parties défenderesses au moyen du numéro de téléphone indiqué sur le site Internet des défendeurs, lequel incluait un préfixe international. Le véhicule en question n’étant plus disponible, un autre véhicule lui fut proposé, dont les caractéristiques furent ultérieurement détaillées par courriel. Il lui fut également précisé que sa nationalité autrichienne ne ferait pas obstacle à l’acquisition d’un véhicule auprès des défendeurs.
Par la suite, l’acquéreuse s’est rendue en Allemagne, a signé le contrat de vente et a pris sur place livraison du véhicule. De retour en Autriche, elle a découvert que le véhicule acheté était affecté de vices substantiels et a dès lors demandé aux défendeurs de le réparer, ce qu’ils ont refusé.
 Les parties défenderesses ayant refusé de réparer le véhicule, l’acquéreuse a saisi la juridiction de son domicile, le Landesgericht Wels (Autriche), d’une demande de résolution du contrat de vente du véhicule, qu’elle soutient avoir conclu en tant que consommatrice avec une entreprise ayant dirigé son activité commerciale ou professionnelle vers l’Autriche, une hypothèse couverte par l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement Bruxelles I.
Le 10 mai 2010, le Landesgericht Wels, a rejeté le recours en se déclarant incompétente, estimant que l’accessibilité du site Internet des parties défenderesses en Autriche ne suffisait pas à fonder la compétence des juridictions autrichiennes, que l’appel téléphonique de la requérante avait été à l’origine de la conclusion du contrat et qu’il ne résultait pas du courrier, qui avait été ensuite envoyé, que les parties défenderesses avaient dirigé leurs activités vers l’Autriche.
Cette dernière décision a fait l’objet d’un recours en «révision» devant l’Oberster Gerichtsthof, lequel a décidé de surseoir à statuer et a demandé à la CJUE de dire si l’application de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement "Bruxelles I" suppose que les contrats soumis à son champ d’application aient été conclus à distance.
L’article 15 paragraphe 1, sous c), du règlement "Bruxelles I" dispose en effet que :
"En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice des dispositions de l'article 4 et de l'article 5, point 5:
[…]
c) lorsque […] le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités".
S’appuyant sur l’objectif poursuivi par l’article 15 paragraphe 1, sous c), du règlement "Bruxelles I", notamment la protection des consommateurs, mais également sur le contexte normatif de celui-ci, la CJUE a constaté que ladite disposition "ne conditionne pas explicitement son application au fait que les contrats soumis à son champ d’application aient été conclus à distance". En effet, selon la Cour, « la condition essentielle à laquelle est subordonnée l’application de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement Bruxelles I est celle liée à l’activité commerciale ou professionnelle dirigée vers l’État du domicile du consommateur ». A cet égard, « tant la prise de contact à distance, telle que celle en cause au principal, que la réservation d’un bien ou d’un service à distance ou, a fortiori, la conclusion d’un contrat de consommation à distance sont des indices de rattachement du contrat à une telle activité ».
Par conséquent, le consommateur peut assigner le commerçant domicilié dans un autre Etat membre, devant les tribunaux nationaux, alors même que le contrat n’a pas été conclu à distance, à condition :
1.      que le vendeur exerce ses activités commerciales ou professionnelles dans l’Etat membre où réside le consommateur, ou qu’il dirige par tous moyens, par exemple par internet, ses activités vers cet Etat membre, et
2.      que le contrat litigieux entre dans de telles activités.

mardi 24 juillet 2012

Compétence internationale des tribunaux français dans le cas de délit complexe : la contrefaçon de marque comme exemple

Dans le langage du DIP, on appelle délit complexe un délit dont les éléments matériels- le dommage et le fait générateur- sont dissociés dans deux ressorts distincts.
En droit européen, tout comme en droit français, le tribunal compétent en cas de délit complexe, auquel est assimilée la contrefaçon en ligne, est indifféremment celui où le dommage est survenu ou celui de l'événement causal. Pour autant, la transposition de ces critères aux délits commis en ligne s’est avérée problématique. Ainsi, du fait de l’ubiquité et de la dématérialisation qui caractérisent le réseau Internet, la localisation du lieu du délit est extrêmement difficile, voire impossible. D’où la nécessité de nouveaux critères de rattachement, qui soient en adéquation avec les spécificités du réseau Internet.
Dans un arrêt du 9 décembre 2003[1], la première chambre civile de la Cour de cassation avait affirmé qu’« en admettant la compétence des juridictions françaises pour connaître de la prévention et de la réparation de dommages subis en France du fait de l’exploitation d’un site internet en Espagne, la cour d’appel qui a constaté que ce site, fût-il passif, était accessible sur le territoire français, de sorte que le préjudice allégué du seul fait de cette diffusion n’était ni virtuel ni éventuel, a légalement justifié sa décision ». La compétence des juridictions françaises, pour statuer sur le préjudice réalisé en France, était ainsi fondée sur le seul critère de l’accessibilité du site Internet au public français.
Jugée par la doctrine comme trop extensif, dans la mesure où il donnerait compétence à n’importe quel tribunal, dépourvu de tout lien avec le litige, le critère de la simple accessibilité du site sur le territoire national a, depuis, été abandonné par la jurisprudence, qui préfère désormais des critères plus stricts permettant d’endiguer la compétence universelle des juridictions françaises.
Dans un arrêt célèbre, rendu le 11 janvier 2005[2], dit Hugo Boss, la chambre commerciale de la Cour de cassation, après avoir affirmé que « la seule accessibilité d’un site internet sur le territoire français n’est pas suffisante pour retenir la compétence des juridictions françaises, prises comme celles du lieu du dommage allégué », a précisé que tant qu’il « se déduit des précisions apportées sur le site lui-même que les produits en cause ne sont pas disponibles en France, la Cour d’appel en a exactement conclu que ce site ne saurait être considéré comme visant le public de France, et que l’usage des marques « Boss » dans ces conditions ne constitue pas une infraction à l’interdiction prononcée par jugement du 23 juin 2000 ». Selon la chambre commerciale, pour fonder la compétence  des tribunaux français en matière de contrefaçon en ligne, il fallait s’assurer non seulement si le site était accessible depuis la France, mais aussi qu’il vise le public français. Et tel n’était pas le cas, selon la Cour, puisqu’en l’espèce le site litigieux était rédigé en langue étrangère et les produits offerts n’étaient pas disponibles sur le territoire français.  

Dans le prolongement de l’arrêt Hugo Boss, la Cour d’appel de Paris, a jugé que « sauf à vouloir conférer systématiquement, dès lors que les faits ou actes incriminés ont eu pour support technique le réseau Internet, une compétence territoriale aux juridictions françaises, il convient de rechercher et de caractériser, pour chaque cas particulier, un lien suffisant, substantiel ou significatif, entre ces faits ou actes et le dommage allégué »[3]. En l’espèce, il s’agissait d’une contrefaçon de marque sur un site libanais rédigé en anglais, et n’offrait  aucune prestation ou service aux consommateurs français. En application de la règle dégagée ci-dessus, la Cour d’appel de Paris a jugé que « la seule reproduction partielle de la marque litigieuse ne saurait caractériser, de ce seul fait, un lien suffisant, substantiel ou significatif, avec le préjudice allégué de nature à permettre au tribunal de grande instance de Paris de retenir sa compétence territoriale ». Il s’agit, selon M-E Ancel, « d’exiger un lien de causalité convaincant entre la mise en ligne incriminée et le préjudice invoqué » [4].
Plus récemment, le 22 mai 2012, la Cour d’appel de Paris, statuant sur renvoi après cassation, a fait droit à l’exception d’incompétence territoriale soulevée par le site eBay  « la destination d’un site vers le public de France implique l’usage de ce site de la langue du public ciblé, à savoir tout acheteur ou vendeur potentiel d’un quelconque produit sur le marché ». En l’espèce,  des constats d’huissiers avaient établi la commande sur le site ebay.com et la livraison en France de produits contrefaisants de la marque François et Marithé Girbaud. Or, constate la Cour, l’huissier a dû pour accéder au site www.ebay.com utiliser le moteur de recherche Google,  le site eBay directement proposé au public français par leur adresse IP étant ebay.fr. Les annonces d’enchères affichées sur le site étaient rédigées intégralement en anglais, comme le processus de commande. La cour a rejeté la prétention selon laquelle les visuels seraient prédominants sur les annonces et la partie rédactionnelle en langue anglaise serait pauvre et donc compréhensible du public français du fait de la vulgarisation croissante de l’anglais. Elle en a conclu que  l’ensemble de ces indices allégués par les sociétés appelantes ne permettaient pas de démontrer que les annonces litigieuses sont destinées au public de France.

En somme, deux constats se dégagent : le premier est celui de l’abandon du critère de l’accessibilité du site. En effet, hormis quelques décisions isolées[5], la jurisprudence dans son ensemble refuse de fonder la compétence des juridictions françaises sur la seule accessibilité d’un site Internet sur le territoire français. Quant au second constat, c’est l’absence d’une position jurisprudentielle uniforme permettant de fixer un critère de rattachement suffisamment prévisible, qui soit en mesure de fonder avec certitude la compétence des tribunaux en cas de délits commis en ligne. Ainsi, « d’un facteur de rattachement abstrait est-on passé à un critère casuistique, confié à l’appréciation souveraine des juges du fond » [6]. Ceci est regrettable dans la mesure où l’incertitude quant à la juridiction compétente en cas de délit commis via Internet pourrait être source d’une forte insécurité juridique.
 __________________________
[1] Cass. 1re civ., 9 décembre. 2003 : Comm. Com. électr., 2004, comm. 40; JCP G, 2004, II, 10055, note Cyril CHABERT ; Rev. crit. DIP 2004, p. 632, note Olivier CACHARD ; Clunet, 2004, p. 872, note André HUET ; D., 2004act. jurispr. p. 276, obs. Cédrique MANARA.
[2] Cass. com., 11 janv. 2005, Sté Hugo Boss c/ Sté Reemtsma Cigarenttenfabriken Gmbh, n° 002-18.381, Juris-Data, n° 026462 ; Comm. Com. électr. 2005, comm. 37, note C. CARON, JCP E 2005, p. 571, note C. CASTETS-RENARD, D. 2005, p. 428, obs. C. MANARA ; J. PASSA, « Affaire « Hugo Boss » – Territorialité de la marque et protection contre un signe exploité sur un site Internet étranger », disponible sur : www.juriscom.net , 14 mars 2005 ; J. LARRIEU, « Le territoire d’une marque sur Internet », Propr. industr., 2005, étude 9 ; C. CARON, « Marque reproduite sur un site passif : le fond du droit et rien que le fond ! », Comm. Com. électr. 2005 n° 3, Mars 2005, comm. 37 ; G. TESSONNIERE, « L’arrêt Hugo Boss : une protection “sur mesure’’ des usages de marques françaises en ligne », RLDI 2005/4, n° 109.
[3] CA Paris, 4e ch., 26 avr. 2006, Scherrer et SA Normalu c/ SARL Acet, Juris-Data, n° 2006-298952, RLDI 2006/16, n° 469 ; Laurent PECH, Contrefaçon de marque sur Internet et compétence des juridictions françaises : la (saine) substitution du critère de destination au critère de l’accessibilité, RLDI 2006/18, pp. 14-17 ; dans le même sens, CA Orléans, 6 mai 2003, SA Les Jolies Céramiques sans kaolin et a. c/ Mridul Entreprises et Trademark Tiles Ltd,  RCDIP 2004.139, note Hélène GAUDEMET-TALLON :  « (…) il n’est pas admissible que les sociétés Céramiques et Émaux fondent la compétence française à l’égard de la société Trademark Tiles sur la seule faculté qu’aurait un « internaute » de connaître en France les coordonnées de cette entreprise à travers un annuaire professionnel anglais en ligne, ce qui ne suffit pas à établir que le lieu du fait générateur du dommage ou celui où le préjudice est subi serait situé en France ».
[4]Marie-Elodie ANCEL, « Quel juge en matière de contrefaçon », in Droit international privé et propriété intellectuelle, Cyril NOURRISSAT et Édouard TREPPOZ (dir), 2010.
[5] CA Paris, pôle 1, 2e ch., 2 déc. 2009, eBay c/ Maceo, RLDI, 2010/56, n° 1850, obs. L. C.
[6]David MARTEL, « Quelle compétence internationale pour le typosquatting et la concurrence déloyale », RLDI, 2010/62, n° 2055.



mercredi 20 juin 2012

CJUE : le juge national ne peut réviser une clause abusive


Dans un arrêt du 14 juin 2012, la CJUE a jugé que  la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre qui permet au juge national de réviser le contenu d’une clause abusive figurant dans un contrat B to C.

En droit espagnole, l’article 812 du Code de procédure civile permet de saisir le tribunal compétent d’une demande afin que soit ordonné au débiteur le paiement d’une dette pécuniaire, échue, exigible et ne dépassant pas 30 000 euros, dès lors que le montant de cette dette est dûment attesté. Si une telle demande est introduite conformément à ces exigences, le débiteur dispose, selon l’article 815, paragraphe 1, du même Code, d’un délai de 20 jours pour payer ou s'opposer à la procédure. Dans ce dernier cas,  l’affaire est jugée dans le  cadre d’une procédure civile ordinaire.

 Néanmoins, dans le cadre d’une procédure d’injonction de payer, la législation espagnole n’habilite pas le juge à déclarer, in limine litis ni à aucun autre moment de la procédure, d’apprécier le caractère abusif d’une clause contenue dans un contrat B to C. Une telle appréciation n’est admise que dans le cas où le consommateur s’oppose au paiement ou en cas de contrariété entre une telle clause et les règles nationales d’ordre public.

Qui plus est, lorsqu’un juge espagnol est habilité à constater la nullité d’une clause abusive insérée dans un contrat B to C, la réglementation nationale lui permet de réviser ladite clause au lieu d’en écarter simplement son application à l’égard du consommateur.

Le 28 mai 2007, M. Calderón Camino a conclu un contrat de prêt pour un montant de 30 000 euros avec la banque espagnole Banesto pour l’achat d’une voiture devant «subvenir aux besoins du ménage». Le taux de rémunération était fixé à 7,950 %, le TAEG (taux annuel effectif global) à 8,890 % et le taux des intérêts moratoires à 29 %.

Bien que l’échéance du contrat ait été fixée au 5 juin 2014, Banesto a considéré que celui-ci avait expiré avant cette date car, au mois de septembre 2008, les remboursements de sept mensualités n’avaient pas encore  été effectués. Ainsi,  le 8 janvier 2009, la banque a introduit devant le Juzgado de Primera Instancia n° 2 de Sabadell (Espagne) une demande d’injonction de payer portant sur  la somme de 29 381,95 euros,  correspondant  aux mensualités  impayées, majorées des intérêts accordés par les parties et des dépens.  Le 21 janvier 2010, cette juridiction a rendu une ordonnance dans laquelle a déclaré d’office la nullité de la clause relative aux intérêts moratoires au motif que celle-ci présentait un caractère abusif. Elle a en outre diminué le taux des intérêts moratoires de 29 % à 19 % et a exigé que Banesto effectue un nouveau calcul du montant des intérêts.

Banesto a interjeté appel de ladite ordonnance devant l’Audiencia Provincial de Barcelona en faisant valoir, en substance, que le Juzgado de Primera Instancia n° 2 de Sabadell ne pouvait, à ce stade de la procédure, ni constater d’office la nullité de la clause contractuelle relative aux intérêts moratoires, considérée par lui comme abusive, ni procéder à la révision de celle-ci. Eprouvant des doutes en ce qui concerne la correcte interprétation du droit de l’Union européenne, notamment la directive 93/13 sur les clauses abusives, l’Audiencia Provincial de Barcelona a décidé de surseoir à statuer et de demander à la Cour de justice de juger, d’une part, si la directive sur les clauses abusives  s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui ne permet pas au juge saisi  d’une demande d’injonction de payer d’apprécier d’office, in limine litis et à tout moment de la procédure, le caractère abusif d’une clause insérée dans un contrat de consommation. D’autre part, la juridiction espagnole voudrait savoir si la réglementation espagnole permettant aux juges non seulement d’écarter mais également de réviser le contenu des clauses abusives est compatible avec la même directive.

Sur la première question, la Cour a affirmé que régime procédural mis en place par le Code de procédure civile espagnol, instituant une impossibilité pour le juge saisi d’une demande d’injonction de payer d’apprécier d’office, alors même qu’il dispose déjà de tous les éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère abusif des clauses contenues dans un contrat B to C, en l’absence d’opposition formée par ce dernier, est de nature à porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par la directive 93/13. Et la Cour d’ajouter que, compte tenu du déroulement et des particularités de procédure d’injonction de payer telle que décrite dans le Code de procédure civile espagnol, « il existe un risque non négligeable que les consommateurs concernés ne forment pas l’opposition requise soit en raison du délai particulièrement court prévu à cette fin, soit parce qu’ils peuvent être dissuadés de se défendre eu égard aux frais qu’une action en justice entraînerait par rapport au montant de la dette contestée, soit parce qu’ils ignorent ou ne perçoivent pas l’étendue de leurs droits, ou encore en raison du contenu limité de la demande d’injonction introduite par les professionnels et donc du caractère incomplet des informations dont ils disposent. Ainsi, il suffirait que les professionnels engagent une procédure d’injonction de payer au lieu d’une procédure civile ordinaire pour priver les consommateurs de la protection voulue par la directive». En conséquence, la Cour a constaté que la réglementation espagnole sur l’injonction de payer « n’apparaît pas conforme au principe d’effectivité, en ce qu’elle rend impossible ou excessivement difficile, dans les procédures engagées par les professionnels et auxquels les consommateurs sont défendeurs, l’application de la protection que la directive 93/13 entend conférer à ces derniers ».

S’agissant de la question de savoir si la réglementation espagnole permettant aux juges non seulement d’écarter mais également de réviser le contenu des clauses abusives est compatible avec la directive 93/13, la CJUE a jugé que « l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne saurait être compris comme permettant au juge national, dans le cas où il constate l’existence d’une clause abusive dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de réviser le contenu de ladite clause au lieu d’en écarter simplement l’application à l’égard de ce dernier ». En effet, estime la Cour, une telle faculté, si elle était reconnue au juge national, « contribuerait à éliminer l’effet dissuasif exercé sur les professionnels par la pure et simple non-application à l’égard des consommateurs des clauses abusives ».

jeudi 17 mai 2012

La protection des cyber-consommateurs européens : ce que prévoit la directive relative aux droits des consommateurs

La directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil a été publiée au JOUE du 22 novembre 2011 et entrera en application dans les États membres le 13 juin 2013.
D’harmonisation maximale, cette directive vise, selon son article 1er, à « contribuer, en atteignant un niveau élevé de protection du consommateur, au bon fonctionnement du marché intérieur en rapprochant certains aspects des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux contrats entre les consommateurs et les professionnels ».
Le champ d’application matériel de la directive est défini à l’article 3 de celle-ci. Elle s’applique « à tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur. Elle s’applique également aux contrats portant sur la fourniture d’eau, de gaz, d’électricité ou de chauffage urbain, y compris par des fournisseurs publics, dans la mesure où ces biens sont fournis sur une base contractuelle ». Les contrats portant sur de contenu numérique, c'est-à-dire « des données produites et fournies sous forme numérique », relèvent du champ d’application de la directive. Sont, cependant, exclus de la protection de la directive les contrats portant sur les services sociaux, les soins de santé, les jeux d’argent, les services financiers, le transfert de droits relatifs à des biens immobiliers, la construction d’immeubles neufs ou la transformation importante, la location d’un logement, les voyages à forfait, la multipropriété, la fourniture de denrées alimentaires ou les services de transport de passagers.
La présente note aura pour but de présenter une synthèse des principales mesures prévues par la directive 2011/83/UE en faveur des cyberconsommateurs européens.

A.Droit de rétraction


1.Durée et computation du délai de rétractation

Actuellement, les cyberconsommateurs disposent d’un délai minimum de sept jours ouvrables. La directive 97/7/CE étant d’harmonisation minimale, les législateurs nationaux sont autorisés à prévoir des délais plus longs. En conséquence, on assiste à une disparité des délais de rétractation au sein de la communauté européenne, ce qui présente un facteur important d’insécurité juridique pour les consommateurs. Ainsi, alors que certains États, comme la Belgique, les Pays-Bas, l’Espagne, le Luxembourg et le Royaume-Uni ont choisi le délai de sept jours ouvrables prévu par la directive 97/7/CE, d’autres États membres ont appliqué la clause d’harmonisation minimale pour mettre en place des délais de rétractations plus longs que celui prévu par la directive. Citons, à titre d’exemple, l’Italie (dix jours calendaires), la Hongrie (huit jours ouvrables), l’Allemagne (un mois si le consommateur a été informé de son droit de rétractation), le Danemark (quatorze jours calendaires) […]. Les consommateurs risqueraient donc de se voir traités différemment d’un État membre à l’autre. Et ce risque se trouve singulièrement accru si l’on considère le mode de calcul du délai de rétractation en « jours ouvrables ». C’est ainsi que les jours fériés ne sont pas identiques dans tous les États membres.
Dans le souci de mettre fin à cette situation et, partant, d’assurer la sécurité juridique des transactions réalisées à distance, la nouvelle directive a procédé à l’unification du délai de rétractation. Désormais, les cyberconsommateurs communautaires disposent d’un délai unique de quatorze jours calendaires pour revenir sur leurs engagements. La directive étant, rappelons-le, d’harmonisation maximale, elle ne laisse aucune marge aux législateurs nationaux pour allonger le délai de rétractation au-delà ou l’accourcir en deça de quatorze jours calendaires.
S’agissant du point de départ pour la computation du délai de rétractation, il n’est pas modifié par rapport à la directive 97/7/CE : selon l’article 9 de la directive sur les droits des consommateurs, le délai de rétractation court à compter de la conclusion du contrat pour les services et à compter de la prise de possession par le consommateur ou un tiers autre que le transporteur et désigné par le consommateur pour les biens.
La directive relative aux droits des consommateurs précise également le point de départ du délai de rétractation pour d’autres cas spécifiques qui ne figurent pas dans la directive sur les contrats à distance :
i) dans le cas de biens multiples, commandés par le consommateur dans une seule commande et livrés séparément, du jour où le consommateur ou un tiers autre que le transporteur et désigné par le consommateur prend physiquement possession du dernier bien;
ii) dans le cas de la livraison d'un bien compose de lots ou de pièces multiples, du jour où le consommateur ou un tiers autre que le transporteur et désigné par le consommateur prend physiquement possession du dernier lot ou de la dernière pièce; ou
iii) dans le cas des contrats portant sur la livraison régulière de biens pendant une période de temps définie, du jour où le consommateur ou un tiers autre que le transporteur et désigné par le consommateur prend physiquement possession du premier bien.
Notons que le droit de rétractation est étendu aux sites d’enchères comme eBay, à condition, toutefois, que la transaction soit faite avec un vendeur professionnel et non entre particuliers.
La directive 97/7/CE prévoit une possibilité d’allongement du délai de rétractation pour sanctionner les professionnels qui n’auraient pas respecté son obligation de confirmer, par écrit ou sur autre support durable, les informations préalables à la formation du contrat électronique, parmi lesquelles doit figurer l’existence du droit de rétractation. Dans ce cas, le délai d’exercice du droit de rétractation est porté à trois mois. Ce délai court à compter de la réception du bien ou de la conclusion du contrat selon que ce dernier porte sur un bien ou un service. Si dans ce délai de trois mois le fournisseur rattrape le retard et informe le cyberconsommateur de son droit de rétractation, cette information fait courir le délai de sept jours.
Avec la nouvelle directive, en cas d’omission d’informer le cyberconsommateur de son droit de rétractation, ce dernier dispose d’un délai d’un an pour revenir sur son engagement. Ce délai court dès la fin du délai de rétractation initial, c'est-à-dire quatorze jours. Dans l’hypothèse, où le commerçant en ligne a omis d’informer le consommateur de son droit de rétractation avant qu’il ne soit lié par le contrat mais l’a fait à une date postérieure comprise entre le jour de la conclusion du contrat et le jour de l’expiration du délai d’un an après la fin du délai de rétractation initial, le délai de quatorze jours commence à courir à partir de cette dernière date.

2.L’exercice du droit de rétractation

Comme tous les autres actes unilatéraux mettant fin à un contrat, le droit de rétractation est un acte réceptice. Il doit, de ce fait, être porté, par une notification, à la connaissance de la personne envers laquelle il est dirigé, sous peine de ne produire aucun effet juridique.
La directive 97/7/CE, tout comme la majorité des autres directives communautaires prévoyant un droit de rétractation, laisse le soin de trancher la question de la notification de l’exercice de ce droit aux législations nationales en disposant qu’elle doit être faite « conformément aux modalités et conditions prescrites par la législation nationale ». La seule disposition communautaire qui pose une exigence de forme est constituée par l’ article 6§6 de la directive relative à la commercialisation des services financiers à distance auprès des consommateurs en vertu de laquelle le délai de rétractation « est réputé respecté si la notification, à condition d’avoir été faite sur un support papier ou sur un autre support durable qui est à la disposition du destinataire et auquel il a accès, a été envoyée avant l’expiration du délai ».
Désormais, dans l’objectif de simplifier le processus de rétractation et d’apporter une sécurité juridique, l’article 11 de la directive relative aux droits des consommateurs met à la disposition du consommateur un formulaire de rétractation standard reproduit à l’annexe I, partie B. Aucune autre « exigence de forme » ne pourra être imposée par les Etats membres autres que celles visées au formulaire annexé à la directive. Par ailleurs, le consommateur peut, s’il le souhaite, revenir sur son engagement en faisant une déclaration « dénuée d’ambiguïté exposant sa décision de se rétracter ». S’agissant d’un contrat conclu en ligne, le professionnel peut donner au consommateur la possibilité de remplir et de transmettre en ligne, sur le site marchand du professionnel, soit le modèle de formulaire de rétractation le formulaire de rétractation figurant à l’annexe I, partie B, soit une autre déclaration dénuée d’ambiguïté. Si c’est le cas, le professionnel doit envoyer sans délai un accusé de réception de la rétractation sur un support durable.

3.Les effets de la rétractation

Une autre nouveauté de la directive relative aux droits des consommateurs réside dans la détermination, en ses articles 12 et suivants, des effets du droit de la rétractation. L’article 12 de la directive dispose que l’exercice par le consommateur de son droit de rétractation a pour effet l'extinction de l'obligation des parties d'exécuter le contrat. En sus de cet effet commun à l’égard des deux parties aux contrats, les articles 13, 14 et 16 de la directive prévoient :

a.Des obligations à la charge du consommateur

Lorsqu’il exerce son droit de rétractation, le cyberconsommateur est tenu de restituer, sans retard excessif, les biens au professionnel ou à une personne habilitée par ce dernier à les réceptionner. La restitution doit, selon l’article 14-1 de la directive, intervenir dans un délai de quatorze jours à compter de la communication de sa rétractation au professionnel, sauf si le professionnel propose de récupérer lui-même les biens objets du contrat.
En ce qui concerne les coûts financiers que le cyberconsommateur doit supporter suite à sa rétractation, ce même article précise que ce dernier « supporte uniquement les coûts directs engendrés par le renvoi des biens, sauf si le professionnel accepte de les prendre à sa charge ou s’il a omis d’informer le consommateur qu’il doit les prendre en charge ».
Qui plus est, l’article 14-2 de la directive relative aux droits des consommateurs traite de la responsabilité pouvant incomber au consommateur du fait de l’exercice de son droit de rétractation en énonçant que « la responsabilité du consommateur n'est engagée qu'à l'égard de la dépréciation des biens résultant de manipulations autres que celles nécessaires pour établir la nature, les caractéristiques et le bon fonctionnement de ces biens ». Et ce même article de dire que « le consommateur n'est pas responsable, en tout état de cause, de la dépréciation des biens lorsque le professionnel a omis de l'informer de son droit de rétractation conformément à l'article 6, paragraphe 1, point h) ».
Par ailleurs, l’article 14 in fine prévoit que lorsque le consommateur a expressément demandé que l’exécution de la prestation d'un service ou la fourniture d'eau, de gaz ou d'électricité, lorsqu'ils ne sont pas conditionnés dans un volume délimité ou en quantité déterminée, ou de chauffage urbain commence pendant le délai de rétractation, il paie au professionnel un montant proportionnel aux services fournis jusqu’au moment où il a informé le professionnel de sa volonté de se rétracter par rapport à l’ensemble des prestations prévues par le contrat.

b.Des obligations à la charge du professionnel

Dans le cas où le consommateur use de son droit de rétractation d’un contrat conclu à distance par voie électronique, l’article 13 de la directive relative aux droits des consommateurs prévoit que le fournisseur est tenu de lui rembourser les sommes qu’il a payé au titre de l'achat du produit, y compris, le cas échéant, les frais de livraison. Le cybervendeur n’est pas toutefois tenu de rembourser les frais supplémentaires si le consommateur a expressément choisi un mode de livraison autre que le mode moins coûteux de livraison standard qui lui a été proposé.
S’agissant du délai de remboursement, ce même article précise qu’il doit intervenir « sans retard excessif » et au plus tard « dans les quatorze jours suivant celui où [le professionnel] est informé de la décision du consommateur de se rétracter ». Notons qu’auparavant ce délai était plus long et pouvait atteindre trente jours.

c. La résiliation des contrats accessoires

L’article 15 de la directive impose aux États membres de prévoir dans leurs législations que l'exercice par le consommateur de son droit de rétractation d'un contrat à distance directive a pour effet de résilier automatiquement tout contrat accessoire. Celui-ci est défini, selon l’article 2, 15), comme « un contrat en vertu duquel le consommateur acquiert des biens ou services afférents à un contrat à distance ou à un contrat hors établissement, ces biens ou services étant fournis par le professionnel ou un tiers sur la base d'un accord conclu entre ce dernier et le professionnel ». Cela étant, la directive relative aux droits des consommateurs assure aux consommateurs en ligne une protection plus étendue que celle qui résulte de la directive 97/7/CE qui ne vise que le contrat de crédit.

B.L’obligation précontractuelle d’information


Cette obligation est intimement liée à l’idée d’une inégalité entre les parties quant aux renseignements dont elles disposent. S’agissant d’une offre faite en ligne, cette inégalité tient essentiellement aux spécificités de l’environnement électronique, notamment la distance séparant les contractants, l’absence de rapport direct entre les parties, ainsi que l’absence de tout contact tangible avec le bien convoité.
Soucieux de répondre aux risques et aux défis entourant la conclusion de contrats par voie électronique et, par là même, de susciter la confiance du consommateur, la directive 2011/83/UE est venue mettre à la charge du professionnel une obligation précontractuelle d’information renforcée.

1.Contenu de l’information

Outre les informations prévues par la directive 97/7/CE sur les contrats à distance et reprises dans le Code de la consommation français, le professionnel est tenu de fournir au consommateur les informations suivantes :
- le rappel de l’existence d’une garantie légale de conformité pour les biens et, le cas échéant, l'existence d'une assistance après-vente au consommateur, d'un service après-vente et de garanties commerciales, ainsi que les garanties y afférentes ;
- dans le cas où le consommateur se trouve obligé de payer en ligne en passant sa commande, le professionnel veille à ce que l’acheteur reconnaît explicitement que celle-ci implique une obligation de payer. Si, pour passer une commande, il faut activer un bouton ou une fonction similaire, le bouton ou la fonction similaire porte uniquement la mention facilement lisible «commande avec obligation de paiement» ou une formule analogue, dénuée d’ambiguïté, indiquant que passer la commande oblige à payer le professionnel. À défaut, le consommateur ne sera pas lié par le contrat.
- lorsque le droit de rétractation existe, le professionnel doit indiquer au consommateur, outre les conditions, le délai et les modalités d’exercice de la rétractation :
  • s’il devra supporter les frais de renvoi du bien en cas de rétractation et, si le bien, en raison de sa nature, ne peut normalement être renvoyé par la poste, le coût de renvoi du bien ;
  • que le droit de rétractation n’est pas applicable lorsque le contrat en cause figure parmi les exceptions prévues par l’article 16 de la directive ou, le cas échéant, les circonstances dans lesquelles le consommateur perd son droit de rétractation ;

2. L’exercice de l’obligation précontractuelle d’information

Pour que le consommateur soit en mesure de prendre effectivement connaissance des informations précontractuelles, et par là, de faire un choix éclairé, la directive sur les droits des consommateurs exige que ces informations soient délivrées selon des modalités précises (a), mais qu’elles doivent aussi être confirmées (b).

a. L’intelligibilité des informations

Le professionnel proposant des biens ou services en ligne est appelé à fournir au consommateur les informations « sous une forme claire et compréhensible ». La directive ne dit rien sur ce qu’il faut entendre par une information claire et compréhensible, laissant ainsi aux juges nationaux le soin d’en préciser les contours, ce qui est regrettable.

b. La confirmation des informations

En raison du caractère éphémère des informations diffusées sur le réseau, les trois systèmes juridiques étudiés ont mis à la charge du professionnel une obligation de confirmation des informations précontractuelles. Celle-ci vise à « permettre au consommateur de disposer d’une trace tangible et d’une sorte de mode d’emploi du contrat intervenu » auquel il « doit pouvoir aisément [se] reporter en cas de litige ». Aux termes de l’article 8-7 de la directive sur les droits des consommateurs, « le professionnel fournit au consommateur la confirmation du contrat conclu, y compris, le cas échéant, de l'accord et de la prise d'acte du consommateur conformément à l'article 16, point m), et à toutes les informations visées à l'article 6, paragraphe 1, sur un support durable et dans un délai raisonnable après la conclusion du contrat à distance, au plus tard au moment de la livraison du bien ou avant le début de l'exécution du service, sauf si ces informations ont déjà été fournies au consommateur sur un support durable avant la conclusion du contrat à distance ».
Par « support durable », il faut entendre, selon l’article 2-10 de la directive, « tout instrument permettant au consommateur ou au professionnel de stocker des informations qui lui sont adressées personnellement d'une manière permettant de s'y reporter ultérieurement pendant un laps de temps adapté aux fins auxquelles les informations sont destinées et qui permet la reproduction à l'identique des informations stockées ». Ainsi défini, le support de la confirmation doit, pour qu’elle bénéficie de la présomption de durabilité, remplir trois fonctions principales, à savoir la pérennité, la lisibilité et l’intégrité des informations communiquées. Notons que le considérant 23 de la même directive dresse une liste de supports censés être durables. Elle inclut « le papier, les clés USB, les CD-Rom, les DVD, les cartes à mémoire ou les disques durs d'ordinateur ainsi que les courriels ».

C. Autres mesures


La directive 2011/83/UE prévoit, en son chapitre IV, différentes mesures, mais dont le champ d’application est limité au contrat de vente. Il s’agit principalement de :

1. La livraison du bien vendu

Le délai de livraison est un point clé dans le processus de la transaction électronique. Il constitue un élément déterminant de la confiance des cyberconsommateurs lors d’un achat en ligne. Or, selon le forum des droits sur l’Internet « en matière de commerce électronique, les principales plaintes formulées par le consommateur sont relatives au retard dans la livraison du bien commandé ». Afin de remédier à cette situation, la directive sur les droits des consommateurs s’est attelée à clarifier et d’harmoniser les règles nationales relatives au moment de la livraison.
Selon l’article 18§1 de la directive, « sauf si les parties en disposent autrement concernant le moment de la livraison, le professionnel livre les biens en en transférant la possession physique ou le contrôle au consommateur sans retard injustifié, mais au plus tard 30 jours, après la conclusion du contrat ». En l’absence d’un accord entre les parties sur le moment de la livraison, l’évènement déclencheur du délai de livraison n’est plus l’envoi de sa commande par le consommateur, tel que prévu par l’article 7-1 de la directive du 20 mai 1997 sur les contrats à distance, mais plutôt le jour de la conclusion du contrat. Notons que le point de départ du délai de livraison prévu par la directive sur les contrat à distance a été fortement critiqué par les professionnels de vente en ligne, dans la mesure où ils étaient tenus de livrer un bien alors même qu’ils n’en avaient pas encore connaissance

2.Frais d'utilisation de moyens de paiement ou de contacts téléphoniques

À cet égard, la directive prévoit un plafonnement des coûts d’utilisation de moyens de paiement et des lignes téléphoniques pour contacter le professionnel au sujet du contrat conclu. Ainsi, désormais, en cas d’utilisation d’un moyen de paiement donné, les professionnels ne pourront plus « facturer aux consommateurs des frais supérieurs aux coûts qu’ils supportent pour l’utilisation de ces mêmes moyens » (art. 19). Aussi, lorsqu’il exploite une ligne de téléphone pour le contacter par téléphone au sujet du contrat conclu, un professionnel ne pourra plus imposer aux consommateurs des coûts supplémentaires aux tarifs de base (art. 21).

3. Paiements supplémentaires

L’article 22 de la directive interdit d’imposer au consommateur, sans son consentement exprès préalablement à la conclusion du contrat, tout paiement supplémentaire à la rémunération convenue au titre de l'obligation contractuelle principale, notamment en ayant recours aux cases « pré-cochées ». Dans le cas où de tels paiements sont supportés par le consommateur, celui-ci peut prétendre au remboursement

4. Transfert du risque

La directive distingue entre deux cas. Le premier est celui des contrats prévoyant que le professionnel expédie les biens au consommateur : dans ce cas, la règle est que le risque de perte ou d’endommagement est transféré au consommateur dès que ce dernier ou un tiers, désigné par le consommateur et autre que le transporteur, prend physiquement possession des biens.
Quant au second cas, c’est celui où le consommateur a chargé un transporteur d’exécuter la livraison des biens achetés et que ce choix n’a pas été proposé par le professionnel. Le transfert du risque au consommateur s’effectue, dans ce cas, au moment où le transporteur prend en charge le bien acheté.

5. Vente forcée

En cas de fourniture non demandé par le consommateur d’un bien ou d’un service, ce dernier est dispensé de l’obligation de verser toute contreprestation. Qui plus est, l’absence de réponse du consommateur dans un tel cas de fourniture ou de prestation non demandée ne peut en aucun cas valoir consentement.