mercredi 20 juin 2012

CJUE : le juge national ne peut réviser une clause abusive


Dans un arrêt du 14 juin 2012, la CJUE a jugé que  la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre qui permet au juge national de réviser le contenu d’une clause abusive figurant dans un contrat B to C.

En droit espagnole, l’article 812 du Code de procédure civile permet de saisir le tribunal compétent d’une demande afin que soit ordonné au débiteur le paiement d’une dette pécuniaire, échue, exigible et ne dépassant pas 30 000 euros, dès lors que le montant de cette dette est dûment attesté. Si une telle demande est introduite conformément à ces exigences, le débiteur dispose, selon l’article 815, paragraphe 1, du même Code, d’un délai de 20 jours pour payer ou s'opposer à la procédure. Dans ce dernier cas,  l’affaire est jugée dans le  cadre d’une procédure civile ordinaire.

 Néanmoins, dans le cadre d’une procédure d’injonction de payer, la législation espagnole n’habilite pas le juge à déclarer, in limine litis ni à aucun autre moment de la procédure, d’apprécier le caractère abusif d’une clause contenue dans un contrat B to C. Une telle appréciation n’est admise que dans le cas où le consommateur s’oppose au paiement ou en cas de contrariété entre une telle clause et les règles nationales d’ordre public.

Qui plus est, lorsqu’un juge espagnol est habilité à constater la nullité d’une clause abusive insérée dans un contrat B to C, la réglementation nationale lui permet de réviser ladite clause au lieu d’en écarter simplement son application à l’égard du consommateur.

Le 28 mai 2007, M. Calderón Camino a conclu un contrat de prêt pour un montant de 30 000 euros avec la banque espagnole Banesto pour l’achat d’une voiture devant «subvenir aux besoins du ménage». Le taux de rémunération était fixé à 7,950 %, le TAEG (taux annuel effectif global) à 8,890 % et le taux des intérêts moratoires à 29 %.

Bien que l’échéance du contrat ait été fixée au 5 juin 2014, Banesto a considéré que celui-ci avait expiré avant cette date car, au mois de septembre 2008, les remboursements de sept mensualités n’avaient pas encore  été effectués. Ainsi,  le 8 janvier 2009, la banque a introduit devant le Juzgado de Primera Instancia n° 2 de Sabadell (Espagne) une demande d’injonction de payer portant sur  la somme de 29 381,95 euros,  correspondant  aux mensualités  impayées, majorées des intérêts accordés par les parties et des dépens.  Le 21 janvier 2010, cette juridiction a rendu une ordonnance dans laquelle a déclaré d’office la nullité de la clause relative aux intérêts moratoires au motif que celle-ci présentait un caractère abusif. Elle a en outre diminué le taux des intérêts moratoires de 29 % à 19 % et a exigé que Banesto effectue un nouveau calcul du montant des intérêts.

Banesto a interjeté appel de ladite ordonnance devant l’Audiencia Provincial de Barcelona en faisant valoir, en substance, que le Juzgado de Primera Instancia n° 2 de Sabadell ne pouvait, à ce stade de la procédure, ni constater d’office la nullité de la clause contractuelle relative aux intérêts moratoires, considérée par lui comme abusive, ni procéder à la révision de celle-ci. Eprouvant des doutes en ce qui concerne la correcte interprétation du droit de l’Union européenne, notamment la directive 93/13 sur les clauses abusives, l’Audiencia Provincial de Barcelona a décidé de surseoir à statuer et de demander à la Cour de justice de juger, d’une part, si la directive sur les clauses abusives  s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui ne permet pas au juge saisi  d’une demande d’injonction de payer d’apprécier d’office, in limine litis et à tout moment de la procédure, le caractère abusif d’une clause insérée dans un contrat de consommation. D’autre part, la juridiction espagnole voudrait savoir si la réglementation espagnole permettant aux juges non seulement d’écarter mais également de réviser le contenu des clauses abusives est compatible avec la même directive.

Sur la première question, la Cour a affirmé que régime procédural mis en place par le Code de procédure civile espagnol, instituant une impossibilité pour le juge saisi d’une demande d’injonction de payer d’apprécier d’office, alors même qu’il dispose déjà de tous les éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère abusif des clauses contenues dans un contrat B to C, en l’absence d’opposition formée par ce dernier, est de nature à porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par la directive 93/13. Et la Cour d’ajouter que, compte tenu du déroulement et des particularités de procédure d’injonction de payer telle que décrite dans le Code de procédure civile espagnol, « il existe un risque non négligeable que les consommateurs concernés ne forment pas l’opposition requise soit en raison du délai particulièrement court prévu à cette fin, soit parce qu’ils peuvent être dissuadés de se défendre eu égard aux frais qu’une action en justice entraînerait par rapport au montant de la dette contestée, soit parce qu’ils ignorent ou ne perçoivent pas l’étendue de leurs droits, ou encore en raison du contenu limité de la demande d’injonction introduite par les professionnels et donc du caractère incomplet des informations dont ils disposent. Ainsi, il suffirait que les professionnels engagent une procédure d’injonction de payer au lieu d’une procédure civile ordinaire pour priver les consommateurs de la protection voulue par la directive». En conséquence, la Cour a constaté que la réglementation espagnole sur l’injonction de payer « n’apparaît pas conforme au principe d’effectivité, en ce qu’elle rend impossible ou excessivement difficile, dans les procédures engagées par les professionnels et auxquels les consommateurs sont défendeurs, l’application de la protection que la directive 93/13 entend conférer à ces derniers ».

S’agissant de la question de savoir si la réglementation espagnole permettant aux juges non seulement d’écarter mais également de réviser le contenu des clauses abusives est compatible avec la directive 93/13, la CJUE a jugé que « l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne saurait être compris comme permettant au juge national, dans le cas où il constate l’existence d’une clause abusive dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de réviser le contenu de ladite clause au lieu d’en écarter simplement l’application à l’égard de ce dernier ». En effet, estime la Cour, une telle faculté, si elle était reconnue au juge national, « contribuerait à éliminer l’effet dissuasif exercé sur les professionnels par la pure et simple non-application à l’égard des consommateurs des clauses abusives ».