vendredi 14 septembre 2012

Vente à distance : un lien hypertexte n’est pas un support durable

 Conscient des spécificités des contrats à distance, notamment conclus en ligne, le législateur européen a mis à la charge du vendeur une obligation précontractuelle d’information permettant au consommateur « d'apprécier en amont la crédibilité de son cocontractant ». Cette obligation est renforcée par une obligation de confirmation écrite ou sur un support durable d’un certains nombre d’informations jugées nécessaires à l’exécution du contrat, prévue par l’article 5§1 de la directive 97/7/CE.

La directive 97/7/CE ne donne aucune définition de ce qu’est un « support durable ».  Il existe cependant une définition de celui-ci dans d’autres textes européens. Ainsi, à titre d’illustration, selon l’article 2-10 de la directive 2011/83/UE relative aux droits des consommateurs, constitue un support durable « tout instrument permettant au consommateur ou au professionnel de stocker des informations qui lui sont adressées personnellement d'une manière permettant de s'y reporter ultérieurement pendant un laps de temps adapté aux fins auxquelles les informations sont destinées et qui permet la reproduction à l'identique des informations stockées »1. Le considérant 23 de cette même directive dresse une liste de supports censés être durables. Elle inclut « le papier, les clés USB, les CD-Rom, les DVD, les cartes à mémoire ou les disques durs d'ordinateur ainsi que les courriels ». Cette liste n’est cependant qu’indicative et d’autres procédés pourraient servir de « support durable ».
Mais quid du lien hypertexte ? C’est à cette question que la CJUE a été amené à répondre dans son arrêt du 5 juillet 2012 2. Les faits d’espèce sont les suivant : Content Services, société à responsabilité limitée de droit anglais, exploitant une succursale à Mannheim (Allemagne), propose différents services en ligne sur son site Internet, rédigé en langue allemande et accessible également en Autriche, dont notamment le téléchargement de logiciels gratuits ou des versions d’essai de logiciels payants. L’acceptation des clauses générales de vente, qui mentionnaient, entre autres, la renonciation au droit de rétractation, se matérialisait par une case à cocher, avec un lien hypertexte renvoyant à la page des CGV du site.
Estimant que la société Content Services violait les règles européennes sur la vente à distance, notamment l’article 5§1 de la directive 97/7/CE, la Bundesarbeitskammer, organisation chargée de la protection des consommateurs et ayant son siège à Vienne (Autriche), a engagé une procédure à son encontre devant l’Oberlandesgericht Wien.
L’Oberlandesgericht Wien a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Suffit-il, pour satisfaire l’exigence posée par l’article 5, paragraphe 1, de la directive 97/7, selon laquelle un consommateur doit recevoir confirmation des informations qui y sont mentionnées sur un support durable à sa disposition et auquel il a accès, à moins que ces informations ne lui aient déjà été fournies lors de la conclusion du contrat sur un support durable à sa disposition et auquel il a accès, que cette information soit accessible au consommateur au moyen d’un hyperlien sur le site Internet de l’entrepreneur, qui figure dans un texte dont le consommateur doit indiquer qu’il en a pris connaissance en cochant une case pour pouvoir s’engager dans un rapport contractuel?»
Dans sa réponse à cette question, la CJUE a procédé en deux temps. D’abord, elle a jugé que la pratique commerciale adoptée par Content Services (information via des liens hypertextes) ne répond pas à l’exigence de communication des informations au sens de l’article 5§1 de directive sur la vente à distance. Elle a ensuite constaté qu’un lien hypertexte ne peut être considéré comme un « support durable » au sens de cette même disposition.

1.      Sur la communication des informations  

Aux termes de l’article 5§1 de la directive sur la vente à distance, ''le consommateur doit recevoir, par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition et auquel il a accès, confirmation des informations mentionnées à l’article 4 paragraphe 1(…), en temps utile lors de l’exécution du contrat et au plus tard au moment de la livraison (…), à moins que ces informations n’aient déjà été fournies au consommateur préalablement à la conclusion du contrat par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition et auquel il a accès. (…)''. Pour ce qui est du contenu de la confirmation, il s’agit d’informations relatives aux conditions et modalités d’exercice du droit de rétractation, à la communication de l’adresse du fournisseur où le consommateur peut éventuellement adresser des réclamations, au service après-vente, aux garanties commerciales, ainsi qu’aux conditions de résiliation du contrat lorsqu’il est d’une durée indéterminée ou supérieure à un an.
En sa première branche, la question l’Oberlandesgericht Wien était de savoir si la pratique commerciale adoptée par Content Services, consistant à imposer au client, pour pouvoir visualiser les informations, de cliquer sur un lien figurant sur la page Internet destinée à la conclusion du contrat, comportait la fourniture des informations pertinentes au consommateur sur un support durable préalablement à la conclusion de contrat ou, ultérieurement, la réception par ce consommateur de la confirmation de ces informations au moyen d’un tel support.
Selon la Cour, la réponse est non. En effet, pour que les dispositions de l’article 5§1 de la directive 97/7 soient respectées, il est indispensable que des informations pertinentes soient « fournies » au consommateur ou « reçues » par celui-ci. Dans l’arrêt ici commenté, la CJUE affirme qu’en l’absence d’une définition de ces deux termes dans la directive 97/7, « il y lieu de recourir au sens habituel en langage courant de ceux-ci, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie ».
La Cour a été ensuite amenée à constater que l’utilisation des termes en cause implique que, concernant l’obligation de confirmation prévue par l’article 5 de la directive 97/7, un comportement passif du consommateur suffise. Partant, " il convient de considérer que, lorsque les informations qui se trouvent sur le site Internet du vendeur ne sont rendues accessibles que par un lien communiqué au consommateur, ces informations ne sont ni «fournies» à ce consommateur ni «reçues» par celui-ci, au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 97/7". La CJUE a ainsi suivi les conclusions de l’avocat général qui estimait que "même si l’opération consistant à cliquer sur un lien ne présente en principe aucune difficulté particulière, il n’en demeure pas moins qu’elle suppose une action volontaire du consommateur et qu’elle lui impose par conséquent un rôle «actif». Au contraire, on l’a vu, l’esprit dudit article 5 est précisément de faire parvenir certaines informations au consommateur même en l’absence de toute action spécifique de celui-ci (si ce n’est, évidemment, celle qui a conduit à la conclusion du contrat)".

2.      Sur la notion de "support durable"

Après avoir examiné la première condition de l’obligation de confirmation, la CJUE s’est penchée sur la notion de "support durable". Ainsi, selon la Cour, un support ne peut être qualifié de durable que s’il remplit trois fonctions cumulatives, à l’instar de l’écrit.
En premier lieu, il doit permettre de stocker les informations de sorte qu’elles puissent être consultées ultérieurement. En second lieu, il doit garantir l’intégrité de leur contenu ainsi que leur accessibilité pendant une durée appropriée. Aucune modification ultérieure du contenu des informations par les parties ou par un tiers ne doit être possible, que ce soit volontairement ou involontairement. Enfin, le support de la confirmation doit offrir aux consommateurs la possibilité de reproduire les informations telles quelles. Ainsi, en cas de litige, le consommateur doit être en mesure de se reporter facilement aux informations pour faire valoir ses droits.
En l’espèce, affirme la cour, il ne ressort pas du dossier que le site Internet du vendeur auquel renvoie le lien indiqué au consommateur n’était pas conforme aux caractéristiques nécessaires de durabilité.
Par conséquent, il y a lieu de constater que les informations qui ne sont accessibles pour les consommateurs qu’en passant par un lien présenté par le vendeur, ne peuvent être considérées comme fournies sur un «support durable», au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 97/7.
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Cet arrêt constitue un jalon supplémentaire dans le renforcement de la protection des consommateurs à distance, notamment ceux contractant en ligne. Il a pour effet de clarifier les exigences nécessaires pour que les conditions générales de vente communiquées au consommateur contractant à distance lui soient opposables. Il mettra également fin à la pratique, quasi-généralisée sur les sites de e-commerce français et européens, qui consiste à communiquer et faire accepter leurs CGV/CGU, insérées dans un lien hypertexte, via une case à cocher indiquant que le client les a bien lues et qu'il accepte les conditions générales de vente avant de finaliser sa commande3.
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[1] Une définition similaire est retenue par la directive 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 septembre 2002, concernant la commercialisation à distance de services financiers auprès des consommateurs, et modifiant les directives 90/619/CEE du Conseil, 97/7/CE et 98/27/CE ; la directive 2002/92/CE du Parlement européen et du Conseil, du 9 décembre 2002, sur l’intermédiation en assurance ; la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil.
[2] CJUE, 3ème ch., 5 juillet 2012, aff. C-49/11, Content Services Ltd c/ Bundesarbeitskammer.
[3] Notons qu’en France la Cour d’appel de paris, dans un arrêt en date du 25 novembre 2010, avait estimé que la communication des CGV moyennant une case à cocher et un lien hypertexte suffisait pour les rendre opposables aux consommateurs, qui, selon la Cour, "ne pouv[aient] ainsi sérieusement soutenir qu'ils n'avaient pas approuvé les conditions générales de vente" (CA Paris, 25/11/2010, SAS Karavel c/ X.).

mardi 11 septembre 2012

Compétence juridictionnelle en matière des contrats de consommation transfrontaliers

L’application de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001  suppose-t-elle que le contrat entre le consommateur et le professionnel ait été conclu à distance ? C’est la question à laquelle la Cour de justice de l’Union européenne, saisie dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, a eu à répondre dans son arrêt du 6 septembre 2012 (aff. n° 90/11) qui vient préciser le champ d’application du régime de protection réservé au consommateur par le règlement "Bruxelles I".
Dans l’espèce en question, une personne, domiciliée en Autriche, a cherché, sur Internet, une voiture de marque allemande qu’elle souhaitait acquérir pour ses besoins privés. Après s’être connectée à la plate-forme de recherche allemande dénommée «www.mobil.de», elle a spécifié la marque et le modèle de véhicule souhaités, jusqu’à ce qu’elle trouve un lien présentant une offre retenant son intérêt.
 Désireuse d’obtenir de plus amples renseignements sur le véhicule proposé sur ladite plate-forme de recherche, elle a contacté les parties défenderesses au moyen du numéro de téléphone indiqué sur le site Internet des défendeurs, lequel incluait un préfixe international. Le véhicule en question n’étant plus disponible, un autre véhicule lui fut proposé, dont les caractéristiques furent ultérieurement détaillées par courriel. Il lui fut également précisé que sa nationalité autrichienne ne ferait pas obstacle à l’acquisition d’un véhicule auprès des défendeurs.
Par la suite, l’acquéreuse s’est rendue en Allemagne, a signé le contrat de vente et a pris sur place livraison du véhicule. De retour en Autriche, elle a découvert que le véhicule acheté était affecté de vices substantiels et a dès lors demandé aux défendeurs de le réparer, ce qu’ils ont refusé.
 Les parties défenderesses ayant refusé de réparer le véhicule, l’acquéreuse a saisi la juridiction de son domicile, le Landesgericht Wels (Autriche), d’une demande de résolution du contrat de vente du véhicule, qu’elle soutient avoir conclu en tant que consommatrice avec une entreprise ayant dirigé son activité commerciale ou professionnelle vers l’Autriche, une hypothèse couverte par l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement Bruxelles I.
Le 10 mai 2010, le Landesgericht Wels, a rejeté le recours en se déclarant incompétente, estimant que l’accessibilité du site Internet des parties défenderesses en Autriche ne suffisait pas à fonder la compétence des juridictions autrichiennes, que l’appel téléphonique de la requérante avait été à l’origine de la conclusion du contrat et qu’il ne résultait pas du courrier, qui avait été ensuite envoyé, que les parties défenderesses avaient dirigé leurs activités vers l’Autriche.
Cette dernière décision a fait l’objet d’un recours en «révision» devant l’Oberster Gerichtsthof, lequel a décidé de surseoir à statuer et a demandé à la CJUE de dire si l’application de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement "Bruxelles I" suppose que les contrats soumis à son champ d’application aient été conclus à distance.
L’article 15 paragraphe 1, sous c), du règlement "Bruxelles I" dispose en effet que :
"En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice des dispositions de l'article 4 et de l'article 5, point 5:
[…]
c) lorsque […] le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités".
S’appuyant sur l’objectif poursuivi par l’article 15 paragraphe 1, sous c), du règlement "Bruxelles I", notamment la protection des consommateurs, mais également sur le contexte normatif de celui-ci, la CJUE a constaté que ladite disposition "ne conditionne pas explicitement son application au fait que les contrats soumis à son champ d’application aient été conclus à distance". En effet, selon la Cour, « la condition essentielle à laquelle est subordonnée l’application de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement Bruxelles I est celle liée à l’activité commerciale ou professionnelle dirigée vers l’État du domicile du consommateur ». A cet égard, « tant la prise de contact à distance, telle que celle en cause au principal, que la réservation d’un bien ou d’un service à distance ou, a fortiori, la conclusion d’un contrat de consommation à distance sont des indices de rattachement du contrat à une telle activité ».
Par conséquent, le consommateur peut assigner le commerçant domicilié dans un autre Etat membre, devant les tribunaux nationaux, alors même que le contrat n’a pas été conclu à distance, à condition :
1.      que le vendeur exerce ses activités commerciales ou professionnelles dans l’Etat membre où réside le consommateur, ou qu’il dirige par tous moyens, par exemple par internet, ses activités vers cet Etat membre, et
2.      que le contrat litigieux entre dans de telles activités.